Tribune : la terre en héritage, l’eau en partage !

Nous sommes fiers d’être à l’origine de cette tribune qui met en avant un nouveau modèle agricole, respectueux des paysans, et bien loin des lobbies de la pétrochimie qui empoisonnent la terre, polluent les rivières et poussent les agriculteurs au suicide.
Elle a été publiée par le journal Reporterre

Alors que les sécheresses se multiplient, les auteurs de cette tribune plaident pour une « répartition équitable et solidaire » de l’eau. Ils s’élèvent contre les « bassines », gigantesques infrastructures qui placent un bien commun sous la coupe d’intérêts privés.

La liste des signataires se trouve à la fin du texte.

L’écologie politique, à ses débuts, a été marquée par l’apparition de René Dumont levant un verre d’eau à moitié plein lors d’une allocution télévisée de la campagne présidentielle de 1974. Par ce geste, il nous rappelait que le partage de l’eau est indispensable. Car l’eau conditionne toute vie sur Terre et est utile à nos activités domestiques, agricoles et industrielles. Cela était déjà vrai dans de nombreuses régions du monde comme le Sahel ou le Proche-Orient.
C’est une réalité quotidienne d’aujourd’hui en Europe, en France.
Le changement climatique bouleverse déjà l’équilibre qui nous permettait il y a peu de bénéficier d’une ressource en eau généreuse et facilement accessible. Les sécheresses récurrentes marquent les esprits, nous obligent à considérer une réalité intangible : l’eau est une ressource finie, unique et fragile.
Des éleveurs peinent à abreuver leurs troupeaux, les étiages de plusieurs rivières menacent le refroidissement des centrales nucléaires…
L’été 2019 se classe au troisième rang des étés les plus chauds depuis le début des mesures en France. Les cours d’eau et les nappes phréatiques ont atteint des niveaux historiquement bas et la nature souffre. Actuellement, 86 départements font l’objet de mesures de restriction d’eau, 209 arrêtés de sécheresse sont en cours. Des citernes approvisionnent des communes en eau potable, des éleveurs peinent à abreuver leurs troupeaux, les étiages de plusieurs rivières menacent le refroidissement des centrales nucléaires.

Les cours d’eau et les nappes phréatiques ont atteint des niveaux historiquement bas.

Au plan national, les scientifiques annoncent que la ressource en eau sera globalement plus imprévisible, que nos cours d’eau subiront une diminution de 10 à 40 %, et que les précipitations en période estivale réduiront de 20 % d’ici 2050. Et leurs prévisions sont de plus en plus pessimistes.
Le rapport Acclimatera, pendant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) pour la Nouvelle-Aquitaine, prévoit une tension sur la disponibilité des eaux superficielles et des eaux souterraines sous l’impact de l’élévation des températures, de l’air comme de l’eau, et une augmentation d’événements extrêmes comme les sécheresses de ces derniers étés et des pluies incertaines.
Cette tension sur l’eau induit rareté certaine et pénurie chronique avec tous les risques que cela comporte. Nous sommes aujourd’hui devant le choix de gérer cette rareté : économiser, prioriser les usages et découvrir de nouvelles solidarités. Nous pouvons a contrario choisir de nier le verre à moitié vide : refuser l’anticipation et la prudence d’une vision globale et nous tourner vers de fausses solutions bien peu durables, qui mettent le bien commun sous la coupe d’intérêts particuliers.

Les « bassines » sont des infrastructures géantes de la taille de dix à vingt terrains de football

C’est le choix des « bassines », pudiquement appelées « retenues de substitution » par leurs promoteurs, qui souhaitent préempter la ressource pour l’usage exclusif d’un seul type d’agriculture. Ces projets s’amoncèlent dans les préfectures de Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire, Centre-Val de Loire et, depuis peu, en Bretagne ! Le ministre de l’Agriculture a lancé le chiffre de 60 retenues à créer dans les trois ans. Un chiffre hors-sol quand on voit l’inflation actuelle des projets mais un chiffre qui envoie un signal amical à la stratégie du statu quo pour la monoculture intensive du maïs.
Contrairement à ce qu’on peut penser, les « bassines » ne sont pas de petites cuvettes qui récupèrent l’eau de pluie, ce sont des infrastructures géantes, chacune de la taille de dix à vingt terrains de football, remplies en pompant l’hiver dans les nappes phréatiques, garantes du cycle de l’eau. 
Là où elles existent déjà, les sécheresses arrivent plus tôt, les rivières se transforment en voies caillouteuses et inertes sur des centaines de kilomètres.

Au niveau local, les mobilisations contre les « bassines » se multiplient, comme ici, à Niort (Deux-Sèvres).

Cette solution de court terme pour un petit nombre d’acteurs privés rencontre un rejet grandissant sur les territoires, de même que le modèle d’agriculture qu’elle pérennise. Une agriculture productiviste, industrielle, qui fait le choix du rendement plutôt que le choix de l’humain et du respect du milieu dans lequel elle s’inscrit. Une agriculture majoritairement vouée à l’export, dont la valeur ajoutée sur les territoires est minime, alors même qu’elle prétend s’approprier la première des ressources vitales de ces territoires.
Dans le marais poitevin, en Deux-Sèvres, ces bassines rythment la vie politique des bocages et des villes. Des milliers de personnes se sont mobilisées pour s’y opposer. Par des manifestations pacifiques, des recours juridiques, par l’engagement des élu.e.s et des associations.
Il faut dire que, dans le secteur, en été, 30 exploitations irriguantes consomment chaque jour autant que toute l’agglomération de Niort (75.000 habitants) ! Pourtant, à la faveur d’un zèle préfectoral, d’un lobby agricole puissant et de quelques politiques inconstants, un « protocole » va permettre la création de 16 bassines de 10 à 15 hectares de superficie. Ce protocole bâclé est exclusivement centré sur l’agriculture quand il faudrait réfléchir à tous les enjeux de la ressource en eau. Pire, il crée un précédent et, dans plusieurs départements, on envisage de le dupliquer.
Les projets affluent, bousculés par les calendriers de financeurs publics pressés de décaisser et, parce qu’au fond, l’évidence est là : le temps et la réalité du dérèglement climatique jouent en défaveur de ces projets.

Sur le terrain, déjà, des solidarités existent, comme la mutualisation des citernes

L’ensemble des acteurs doit engager un réel processus de sortie de crise autour de la prédation de l’eau. Déjà, des solidarités s’organisent sur le terrain : autorisations de propriétaires d’étangs à prélever pour abreuver des troupeaux, dons de paille et de fourrages entre paysans, autogestion d’économie d’eau sur des réseaux d’eau potable, mutualisation de citernes… Il faut les encourager.
Les « bassines » ne sont pas de petites cuvettes qui récupèrent l’eau de pluie mais de gigantesques infrastructures.
Sinon, comment les choix actuels seront-ils jugés en 2030 ou en 2050, quand la température aura encore gagné 1, 2 ou 3 degrés et que les pénuries d’eau menaceront quotidiennement l’eau potable pour les humains, les animaux et les milieux naturels dont nous dépendons ?
Nous appelons à une évolution radicale dans la conception des politiques de l’eau, préalable indispensable à l’évolution des politiques agricoles :

  • partir de la ressource disponible, aujourd’hui et demain ;
  • la sauvegarder des pollutions diffuses par l’extension des périmètres de protection des aires de captage ;
  • placer les économies d’eau comme priorité absolue ;
  • puis organiser une répartition équitable et solidaire des usages, selon une gouvernance garante de l’intérêt général et associant tous les usagers.

Les signataires de la tribune :

Député.e.s écologistes au Parlement européen :

  • Damien Carême
  • David Cormand
  • Gwendoline Delbos-Corfield
  • Yannick Jadot
  • Michèle Rivasi
  • Caroline Roose
  • Mounir Satouri
  • Marie Toussaint
  • Salima Yenbou

Ainsi que :

  • Benoît Biteau, député écologiste au Parlement européen, conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine
  • Sandra Régol et Julien Bayou, porte-parole d’EELV
  • Brigitte Allain, députée écologiste de 2012 à 2017, paysanne retraitée en Dordogne
  • Serge Morin, ancien vice-président EELV de la région Poitou-Charentes, paysan retraité
  • Sébastien Mabille, avocat en droit de l’environnement
  • Emmanuel Poilane, président du Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID), secrétaire général de la Fondation Danielle Mitterrand, résident de Poitiers
  • Valérie Cabanes, présidente d’honneur de Notre affaire à tous et porte-parole de End Ecocide on Earth
  • Clotilde Bato, déléguée générale de SOL (Alternatives agroécologiques et solidaires)

Pour le groupe écologiste et citoyen au conseil régional de Nouvelle-Aquitaine :
Léonore Moncond’huy et Jean-Louis Pagès, coprésident du Groupe Écologiste et Citoyen

  • Françoise Coutant, vice-présidente de Nouvelle-Aquitaine au Climat et à la transition énergétique
  • Nicolas Thierry, vice-président à l’Environnement et à la biodiversité
  • Vital Baude, délégué au Littoral
  • Jean-François Blanco
  • Katia Bourdin
  • Maryse Combres, déléguée à l’efficacité énergétique
  • Lionel Frel
  • Nicolas Gamache, délégué au patrimoine naturel
  • Alice Leiciagueçahar
  • Christine Seguinau
  • Laurence Motoman
  • Mumine Ozsoy
  • Jérôme Orvain, délégué à l’agriculture biologique et à l’agroécologie
  • Thierry Perreau
  • Stéphane Trifiletti, délégué à l’Éducation Nature Environnement

Pour le groupe écologiste au conseil régional Centre-Val de Loire :

  • Charles Fournier, vice-président délégué à la transition écologique et citoyenne et à la coopération, président du groupe écologiste
  • Christelle de Crémiers, vice-présidente déléguée au tourisme, aux terroirs et à l’alimentation
  • Estelle Cochard
  • Benoît Faucheux
  • Jean-Philippe Grand
  • Sabrina Hamadi
  • Gérard Nicaud
  • Michelle Rivet, déléguée à l’environnement et au développement rural
  • Alix Tery-Verbe
  • Sandrine Tricot