Plénière NéoTerra 9 juillet 2019 – Propos introductifs de Jean-Louis Pagès et Léonore Moncond’huy
Intervention de Jean-louis Pagès
Monsieur le président, mes chers collègues,
Nous avons obtenu, tout en nous limitant à un temps de parole équivalent aux autres groupes de faire cette interventions côte à côte et à deux voix : je la commencerai en tant que doyen du groupe écologiste pour rapidement la passer à notre présidente de groupe qui en est aussi la benjamine.
Rien ne doit plus être comme avant. NeoTerra, ce curieux terme hybridé de grec et de latin marque un seuil, un passage, dans cette mandature, et Janus le dieu latin des portes avait comme notre intervention un double visage, celui de l’homme mûr tourné vers le passé et du jeune tourné vers l’avenir. Vous imaginez donc nos deux rôles respectifs.
Je peux vous dire, Monsieur le président et vous tous, mes chers collègues, que cette plénière aurait été impensable il y a encore quelques années. Car en dépit des avertissements des écologistes, qui essayaient d’expliquer :
- qu’une croissance industrielle infinie dans un monde aux ressources finies était une absurdité ;
- qu’on ne pouvait impunément détruire le vivant sans nous détruire nous-même ;
- alors que dès 1970, il y a un demi-siècle, le rapport Meadows commandé par le Club de Rome aux chercheurs et scientifiques du MIT démontrait l’impasse dramatique de cette croissance ;
- que dès 1990, il y a 30 ans, l’âge de ma collègue, le GIEC publiait son premier rapport qui mettait en évidence les causes anthropiques des GES et les conséquences directes sur le climat ;
notre voix restait inaudible.
Que de temps perdu, et que s’est-il passé pour finir par réveiller l’opinion de son sommeil dogmatique bercé par des rêves de croissance ? Qu’est-ce qui a fini par décrédibiliser les négationnistes du dérèglement climatique, dont on ne trouve plus guère de représentants qu’à l’extrême-droite ? D’où vient ce retournement si soudain de l’opinion publique, qui s’est accéléré depuis ces cinq dernières années ?
Nous pensons que c’est la prise de conscience dans les pays riches, les plus pollueurs depuis un siècle, que le monde est fini, et que l’atmosphère commune nous rend solidaire sur une seule planète et que selon le mot de Pascal, « cela n’est pas volontaire, nous sommes embarqués » ; que cet embarquement concerne la totalité de l’espèce humaine, et aussi les autres êtres vivants et encore tous leurs descendants, qui tous collectivement vont subir les conséquences de nos choix et que ceux-ci ont une inertie effarante.
Désormais chaque coupure d’eau, chaque canicule, chaque journée sans insecte ni chant d’oiseaux, prend un nouveau sens, celui d’un avertissement, d’une extraordinaire menace et du défi de la survie des générations futures.
Intervention de Léonore Moncond’huy
« Unissons nos forces pour que les politiques portées par notre Région soient à la hauteur des enjeux et à la mesure de l’urgence ».
C’est l’appel qui ouvrait le Manifeste pour le Climat que nous lancions il y a presque un an, en octobre dernier. Un texte qui encourageait tous les élu.e.s de l’Assemblée régionale à faire un pas de côté, à laisser à part leurs dissensions partisanes, pour mettre leurs énergies au service de la seule priorité qui compte aujourd’hui : l’urgence écologique.
Cet appel a aujourd’hui été entendu.
NéoTerra témoigne de la bataille culturelle écologiste qui avance ; une bataille qui avance aussi parce que nous, élu.e.s écologistes, nous nous engageons pleinement dans l’institution régionale, et nous avons souvent l’écoute de nos collègues élus et des services.
Nous pouvons être fiers que soient aujourd’hui pleinement reconnues nombre de politiques écologistes, de plus en plus systémiques. Grâce au travail de Françoise Coutant, la transition énergétique et le climat sont désormais l’affaire de tous les services, avec un COPTEC qui dès demain sera prêt pour agir et diffuser les engagements de NéoTerra ; et l’appropriation citoyenne de la transition énergétique, avec plus de 30 collectifs citoyens sur le territoire qui mènent des projets d’énergie renouvelable, est désormais une priorité. Grâce à celui de Nicolas Thierry, la biodiversité est enfin un enjeu politique pris au sérieux, et nous doublerons d’ici à la fin du mandat nos acquisitions d’espaces naturels remarquables. Quand des écologistes sont présents, quand on leur fait confiance pour agir, les choses avancent.
Mais NéoTerra le dit bien : le succès sera collectif ou ne sera pas.
NéoTerra est bien un succès collectif, et le travail des services notamment est à saluer, car il n’est pas si facile de renouveler ses vieux outils de travail.
Mais surtout, c’est bien le plaidoyer commun que nous avons su porter entre élu.e.s de la majorité qui nous permet aujourd’hui de faire le pas le plus symbolique, un pas que nous appelions de nos vœux lors de la dernière plénière : nous engageons, aujourd’hui, notre Région dans une trajectoire de sortie totale des pesticides. C’était un signal fort attendu par nos concitoyens, c’est une vraie source d’espoir, et c’est vraiment un très grand pas que nous faisons, ensemble, aujourd’hui. Bravo.
NéoTerra, fruit d’une démarche pionnière, est aujourd’hui une évidence. Toutes nos politiques doivent désormais être mises au service d’une transition écologique rapide, intégrale et ambitieuse. Qui oserait, aujourd’hui, aller contre cette affirmation ? Qui s’engagerait à autre chose face aux jeunes générations qui « marchent » pour le Climat ?
A toutes celles et ceux qui ont pris la parole pour dénoncer le manque de réalisme des engagements de NéoTerra, qui iraient trop vite, trop loin, qui ne seraient pas pragmatiques : je vous réponds que nous n’avons pas le même pragmatisme. Mon pragmatisme, c’est celui de la canicule, c’est celui de la sécheresse, c’est celui des 3 communes de mon département, la Vienne, qui hier n’avaient plus d’eau au robinet ; c’est celui des viticulteurs dont les vignes ont été calcinées par un soleil de plomb. Chaque jeune, autour de moi, aura connu dans les vingt dernières années une « catastrophe du siècle », une « canicule du siècle »…
C’est vrai, ça prendra du temps, comme me le rappellent aimablement nombre de mes collègues que mon impatience fait sourire. « On ne se débarrasse pas d’une habitude en la flanquant par la fenêtre ; il faut lui faire descendre l’escalier marche par marche », a écrit Mark Twain. Mais l’important, et c’est ce que nous faisons aujourd’hui, c’est la direction que l’on se donne pour permettre à nos mauvaises habitudes de redescendre, pour nous alléger. Et, une fois plus légers, remonter plus vite vers les marches suivantes.
Les signataires du Manifeste pour le climat le soulignaient : « Nous sommes déjà capables de porter une parole unanime sur nombre de délibérations en faveur du respect de notre écosystème ; il est temps désormais d’engager collectivement un changement plus profond ». Et j’espère qu’aujourd’hui encore, pour notre Région, pour les jeunes générations, c’est à l’unanimité que sera voté NéoTerra.
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Car avec ce vote, nous gravissons, ensemble, une première marche, qu’il ne nous sera plus possible de redescendre. Cette première marche nous hisse au-dessus de la mêlée, elle est un grand pas pour notre assemblée. Et en franchissant aujourd’hui cette marche, j’entends l’écho, j’entends l’espérance, des Marches des jeunes pour le climat.
Il nous reste aujourd’hui à ne pas décevoir cette espérance. Dès demain, faisons, ensemble, une marche de plus pour le climat.
La prochaine marche, on n’a pas le droit de la louper !
Mais elle est haute à atteindre.
Pour la franchir, il faut avant tout passer à l’action. « L’action est la première marche vers le succès » a dit Pablo Picasso.
Notre défi est de faire passer NéoTerra de l’ambition à l’action. Et pour agir, il faudra forcément choisir.
Quelles politiques abandonnons-nous, parce qu’elles sont climaticides, parce qu’elles ne sont pas la priorité pour faire avancer l’urgence de la transition écologique ?
Où allons-nous chercher le budget nécessaire à l’accompagnement de notre territoire vers un changement de modèle ?
Annoncer la sortie des pesticides, c’est l’« effet waouh » garanti ! Mais ensuite ? Il nous faut désormais cesser d’accompagner directement ou indirectement les productions intensives fondées sur l’usage des pesticides de synthèse, conditionner toutes les aides régionales au partage de cet objectif par les acteurs, et engager non pas la substitution des pesticides par d’autres solutions techniques ou chimiques, mais la mutation effective du modèle agricole intensif vers l’agroécologie et la bio.
Ainsi, c’est dès septembre prochain, dès le budget 2020, qu’il nous faudra réorienter profondément nos politiques, y compris les plus récentes.
Depuis l’annonce de NéoTerra, nous le disons : nous prenons au sérieux ce rendez-vous. Cette première marche passée, c’est en réalité plus haut que se situent les enjeux, et que sera évaluée l’ambition politique réelle de NéoTerra.
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Cette prochaine marche pour le climat, elle est haute aussi car pour nous hisser à la hauteur de l’urgence écologique, elle implique de changer profondément notre vision du sommet à atteindre.
On parle depuis longtemps désormais de « lutte contre le changement climatique ». Et, oui, l’atténuation du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité doit rester la priorité absolue de nos politiques.
Mais il est aussi de notre responsabilité de préparer nos territoires à accuser le coup du changement climatique, qui est en marche, c’est inéluctable. C’était le titre de la contribution de notre groupe à NéoTerra : nous appelons à construire la résilience des territoires et habitants la Nouvelle-Aquitaine. Notre ambition désormais doit être d’impulser et de construire une organisation des territoires qui leur permette d’aborder les prochaines décennies dans les meilleures conditions possibles, en particulier dans l’intérêt des jeunes générations. Un territoire résilient, c’est un territoire qui peut encaisser des chocs, tout en assurant les besoins vitaux de ses habitants. Ainsi, de la résilience des territoires, à la résilience des citoyens, et à la résilience de chacun d’entre nous, il n’y a qu’un pas.
Si nous offrons à chacune et à chacun une direction forte donc rassurante, et un univers sécurisant, gageons que nous serons beaucoup plus résilients, individuellement et collectivement.
Mes collègues écologistes, dans leurs interventions, vont dessiner ce à quoi ressemble « notre sommet » à atteindre. Quel est l’avenir que nous dessinons ?
Notre avenir se construit sur un idéal tout simple : chaque territoire, à l’échelle qui est celle de la vie quotidienne de ses habitants, doit pouvoir subvenir aux besoins essentiels de ses habitants, manger, boire une eau saine, vivre en sécurité physique et affective…
Pour construire cet avenir sécurisant, nous n’avons pas besoin d’être la Région la plus médaillée, nous n’avons pas besoin d’être la Région qui voit grandir le plus de « champions de la Terre » ! Parce que toutes ces médailles, ces places sur les marches du podium, ne répondent souvent pas directement aux besoins des habitants. Notre avenir ne se massifie pas, il maille au contraire finement le lieu de vie de chacune et chacun de nos concitoyens. Plutôt que la recherche de succès dans une compétitivité mondialisée, repartons des besoins essentiels des habitants, actuels et futurs, et tentons d’y répondre.
Pour construire cet avenir, nous avons besoin d’être la Région la plus forte et sereine dans les directions qu’elle dessine. Et nous avons besoin d’être la Région la plus coopérative, car, plus que nos infrastructures, plus que nos nouvelles technologies, c’est un nouveau modèle social qui fera notre avenir. Pour qu’ « une autre fin du monde soit possible », comme le dit Pablo Servigne, c’est une entraide et une coopération renouvelées que nous devons construire.
Et c’est bien notre quotidien, dans lequel seront de plus en plus présents les événements climatiques extrêmes, les alertes sur notre écosystème, qui sera juge de notre capacité à passer à l’action.
Je vous remercie.
[Seul le prononcé fait foi]