Propos introductifs de Léonore Moncond’huy en séance plénière du 10 avril 2020
Monsieur le Président, chers collègues,
Nous traversons une crise dont les effets nous prennent tous au dépourvu, mais dont nous comprenons aujourd’hui les causes. Ces causes sont systémiques : la raréfaction des milieux naturels intacts entraîne l’accroissement du risque de transfert des virus vers les humains. Mais ce qui crée les conditions de l’explosion des épidémies, c’est d’une part l’hyper-concentration des hommes et des activités dans des mégalopoles, et d’autre part l’hyper-mobilité, et l’hyper-dépendance à travers le monde des marchandises et des personnes. Jamais, dans ce système mondialisé, l’écologie n’a été prise en compte comme mode de pensée pouvant réguler ces excès mondiaux, excès dont nous faisons toutes et tous l’expérience de leur impact, à notre échelle, locale.
Ce que je souhaite avant tout retenir de cette situation, c’est la multiplicité d’initiatives solidaires, et les engagements de tous les travailleurs du quotidien des secteurs essentiels à notre vie quotidienne, et je saisis l’occasion pour remercier les soignants, tous les acteurs des circuits alimentaires, les producteurs, les caissières, les enseignants, les éboueurs… Les services des collectivités publiques, à commencer par les 8000 agents de notre collectivité et des lycées. Et oserais-je ajouter, les élu·e·s, nous en Région, et je pense aussi aux 35000 maires qui sont en première ligne.
La Région prend toute sa part pour travailler à la sécurité des acteurs économiques de la Région, et cette réactivité, cette implication, sont à saluer, j’y reviendrai à l’occasion de la présentation du plan d’urgence.
Le confinement et les mesures sanitaires qu’elle impose nous touchent toutes et tous, selon des situations individuelles diverses. Cette situation nous fait partager un présent qui, pour la première fois dans nos vies, est connu de tous, ressenti par tous. Ce virus nous met tous à égalité, sans parti pris. Et nous oblige tous à regarder le monde et son avenir différemment. Nous aspirons à la fois à une forme de « retour à la normale », et à la fois à un changement profond de société, réorientée sur nos besoins essentiels.
Lorsque nous remercions les travailleurs du quotidien que je mentionnais, ce n’est pas une vision dépolitisée du monde que nous devons porter. En les applaudissant, en les remerciant, nous pointons du doigt les secteurs essentiels à notre quotidien, que le monde d’après devra valoriser avec un nouveau regard.
Le choc actuel nous montre la fragilité de notre société, de nos modes de production, autant pour ce qui nous nourrit que pour ce qui nous protège, masques, gels, tests… Cette crise démontre combien nous sommes dépendants, combien notre autonomie, individuelle mais aussi celle de nos territoires, est limitée. Il y a plus d’un an, lors d’une intervention liminaire en plénière, j’avais dit « le territoire le plus fragile de la Région, c’est Bordeaux ! ». A l’époque, on m’avait plutôt ri au nez. Aujourd’hui, je crois que la situation, en particulier celle des métropoles, nous donne un regard nouveau sur la question.
Alors, lorsque nous parlons de résilience des territoires, c’est ça. C’est assurer la capacité de notre territoire et de ses habitants à résister, à maintenir ses fonctions vitales, manger, boire, avoir du lien social, même en cas de crise.
La crise est aujourd’hui sanitaire. Elle pourrait demain être climatique, agricole, technologique. Et sa réponse ne pourra être qu’écologique. Gardons à l’esprit que nous avons provoqué ce qui nous arrive. Et surtout considérons cette catastrophe sanitaire comme une ultime alerte. Les scientifiques sont formels : si nous continuons à détruire le vivant sous toutes ses formes, si nous persistons aveuglement à anéantir les habitats naturels, nous sommes prévenus : les pandémies se multiplieront et les écosystèmes cesseront progressivement de nous rendre des services vitaux, essentiels à notre survie. L’enjeu du « monde d’après » est d’inventer une nouvelle forme de cohabitation entre tous les vivants.
Le deuil des familles concernées, les situations sociales et familiales préoccupantes, le préjudice d’anxiété, les préjudices économiques majeurs à attendre, sont des douleurs qui nous sont communes. Mais cette alerte, elle aurait pu être encore plus violente.
Heureusement, nous avions les réseaux internet, pour maintenir le travail, souvent, mais surtout nos liens sociaux. Le numérique nous a permis de garantir la sécurité de nombre d’entre nous, mais la situation, en discriminant les habitants des « zones blanches », ou les victimes de la fracture numérique, nous a aussi montré qu’en être exclu, c’était un danger.
Heureusement, jamais ces dernières semaines nous n’avons été inquiétés pour notre approvisionnement alimentaire, pour notre approvisionnement en eau, pour notre approvisionnement en énergie.
Et j’espère que nous saurons être vigilants pour ne pas avoir à nous inquiéter pour notre système démocratique. On croit trop souvent qu’une gestion de crise ne peut se conjuguer qu’avec un pouvoir central fort, en adoptant une posture guerrière, on entend même qu’à mesure que les crises écologiques à venir se feront plus pressantes, une dictature pourrait être la seule solution.
Je préfère écouter l’avertissement Michel Rocard qui disait, déjà, en 2011 « lorsque l’effondrement de l’espèce apparaîtra comme une possibilité envisageable, l’urgence n’aura que faire de nos processus, lents et complexes de délibération. Pris de panique, l’Occident transgressera ses valeurs de liberté et de justice ».
Ainsi je crois au contraire que c’est dans les moments de crise que la démocratie doit être une exigence inconditionnelle, parce-que c’est là qu’elle est le plus fragile. C’est aussi la résilience démocratique que nous devons construire : anticiper la permanence de la démocratie, des libertés publiques, pour que jamais un contexte de crise ne puisse venir les menacer.
La plénière que nous vivons se déroule dans un cadre démocratique dégradé, avec très peu d’élu·e·s, pas de réunions des Commissions, pas de sollicitation du CESER. Nous appelons à ce que cela soit l’exception, et que dès la prochaine plénière nous trouvions un moyen technique innovant -s’il y a bien une Région capable d’innover, c’est la Nouvelle-Aquitaine !- pour permettre la représentation et l’expression du plus grand nombre d’élu·e·s possible.
Maintenant, saurons-nous bousculer nos certitudes, en tirant vraiment toutes les conséquences des causes de cette crise ? Saurons-nous nous en saisir comme d’une opportunité pour mieux anticiper les prochaines crises, et reconstruire un monde plus résilient ?
Pour moi la Région est une excellente échelle sans doute la meilleure pour construire la résilience, voir les travaux qui existent sur les bio-Régions.
Nous avons aujourd’hui besoin de masques, quel seront les besoins de demain ? Ecrivons ensemble la suite, et cela peut être rapide : le programme du Conseil national de la Résistance, tient en quelques pages et a été rédigé au plus sombre moment de la deuxième guerre mondiale. Il a aussi été intitulé Les jours heureux.
Nous ne sommes pas en guerre, nous n’avons pas d’ennemis, nous avons la liberté de changer nos destinées, et donc nous avons le devoir de le faire.
Je vous remercie.
[Seul le prononcé fait foi]