Intervention relative au budget primitif 2016
Par Jean-Louis Pagès – Intervention en séance plénière du 27 mai 2016.
Cher président, chers collègues,
Nous examinons aujourd’hui le premier budget de la fusion. Un budget sous une triple contrainte :
- contrainte de la continuité, et parfois de l’évolution, des politiques menées dans les 3 ex-régions ;
- contrainte de la situation financière héritée de Poitou-Charentes ;
- contrainte de délais : les cinq premiers mois de cette mandature ont paru bien courts au regard des innombrables questions et tâches à remplir pour cette fusion.
Le groupe écologiste et citoyen est conscient des conditions très exceptionnelles de la construction de ce budget et des marges de manœuvres réduites.
La partie recettes témoigne bien de la faiblesse des ressources auxquelles la Région peut prétendre, que ce soit sous l’effet de la loi Notre, qui a fait disparaître la part régionale des impôts locaux, ou avec les baisses de dotation de l’État.
Notre groupe se félicite de l’harmonisation rapide des taxes. Que ce soit la TICPE ou l’harmonisation du tarif des cartes grises, le choix a été fait de faire appel à des leviers vertueux, sans pour autant assommer les contributeurs, pour assurer des recettes supplémentaires.
Nous saluons également le geste fait dans le même temps auprès de notre jeunesse via la suppression de la taxe sur les permis de conduire. Nous y reviendrons.
Côté dépenses, le pari était de résorber au maximum un passif de 200 M€. Le choix, d’une part d’économies supportables et, d’autre part d’un emprunt limité, est un compromis qui pourra sans doute nous faire entrevoir plus de sérénité pour les budgets suivants.
Transition énergétique et écologique
Cette situation exceptionnelle et ce budget exceptionnel expliquent sans doute qu’il ressort peu de politiques nouvelles, peu de progression dans certains budgets importants pour les écologistes et que nous assistions à l’arrêt, plus ou moins bien expliqué et compris, de plusieurs dispositifs.
Cependant, au rang des nouvelles compétences régionales et des politiques qui s’y rattachent, nous saluons la place accordée à la transition énergétique et écologique dans la présentation de ce budget. C’est ce que nous avions souhaité lors du débat d’orientation budgétaire et nous sommes satisfaits, monsieur le Président, d’avoir été entendus.
Nos deux vice-président-e-s écologistes sont les artisans de ce changement dans la politique régionale, par la prise en compte des enjeux énormes concernant l’effondrement de la biodiversité tout autant que les dérèglements climatiques. Ces défis majeurs qui dépassent nos existences humaines mais dont nous dépendons fondamentalement, doivent être relevés de manière volontariste par notre grande Région. Nous serons toujours vigilants pour que dans les budgets qui suivront celui-ci, ce volontarisme se traduise en chiffres.
Un développement équilibré des territoires
Un autre défi de taille est le développement équilibré des territoires ainsi que le développement social et humain.
Dans le champ économique, nous souhaitons rappeler que l’économie sociale et solidaire en général et les associations en particulier doivent être au rang des priorités régionales. Elles ont un rôle essentiel pour la politique de l’emploi, avec des emplois non délocalisables, et pour le développement des territoires, avec une plus-value locale et pour leurs habitants et habitantes.
Éducation et culture
L’éducation, l’éducation populaire et la culture sont essentielles, à ce moment de notre histoire, pour pallier à la désespérance qui traverse notre société. Il y a désespérance, il y a des laissés-pour-compte, il y a de grands déserts qui sont autant économiques que culturels et dans lesquels ne poussent que la frustration, la violence et le vote d’extrême droite. La Région, dans son rôle de proximité, doit tout faire pour combler cette diagonale du vide qui la balafre de part en part.
Notre groupe écologiste et citoyen tient ici à déplorer l’annuler du festival des nuits romanes, annulation qui porte atteinte à un symbole fort de cohésion et de fierté territoriales, de diversité culturelle. Ce festival a une plus-value culturelle et sociale et un rôle fondamental dans le rééquilibrage des territoires.
C’est pourquoi nous demandons trois choses :
- Mettre à l’étude le maintien du festival partout où des emplois sont menacés et dans les communes désireuses d’organiser elle-même les événements.
- Augmenter le fond de compensation qui est prévu à 300 000 euros et qui est tout à fait insuffisant, et le porter à 1,2 M€. En effet, ce fonds prévoit d’indemniser essentiellement les compagnies artistiques ; aucune compensation, n’est prévue pour les équipes techniques et les producteurs pourtant sollicités dès le mois d’octobre pour répondre aux appels d’offres.
- Envisager une nouvelle formule des Nuits romanes pour 2017.
Innovation sociale
L’innovation sociale est facteur de progrès, au même titre que l’innovation technologique dont elle doit être le pendant en terme de mieux vivre et de prise en compte des réalités du monde actuel. Après un siècle, le 20ème, presque uniquement tourné vers la mécanisation, la robotisation puis l’informatisation, notre siècle, le 21ème, doit s’adapter – et c’est douloureux pour bien des gens qui ne sont pourtant pas paresseux – à la fin du plein emploi.
Une des réponses à cette réalité est le revenu de base et de nombreux pays ont commencé à l’étudier sérieusement. Nous avons pourtant une grande chance puisque c’est notre Région qui a voté pour une expérimentation du revenu de base, sur proposition des écologistes.
Notre Région est maintenant citée en exemple pour cette initiative novatrice et doit non seulement s’en féliciter mais aussi tout mettre en œuvre pour concrétiser cette expérimentation.
Formation professionnelle et apprentissage
Avec 579 M€ de crédit de paiement, les chapitres Formation professionnelle et apprentissage constituent un des principaux budgets de notre région.
Ce sont donc des secteurs qui doivent mériter toute notre vigilance. L’attente est forte, de la part des demandeurs d’emplois qui attendent parfois depuis longtemps une formation professionnelle.
Une attente des personnes qui s’engagent dans les formations sanitaires et sociales, dont nous avons tant besoin, pour accompagner les plus fragiles de nos concitoyens, pour accompagner nos aînés toujours plus nombreux dans notre Région. Une attente de formation de qualité pour les jeunes, qui s’oriente vers la voie difficile de l’apprentissage.
Les sommes engagées par notre Conseil régional dans la formation professionnelle sont importantes et doivent permettre de proposer des formations professionnelles au plus grand nombre.
Nous soulignons bien volontiers les efforts annoncés en matière d’harmonisation des politiques publiques en la matière et nous attendons de celle-ci qu’elle soit aussi porteuse d’une plus-value pédagogique.
Concernant les formations sanitaires et sociales, dont chacun reconnaît l’utilité et l’importance de ce secteur d’activité, les efforts de la Région s’inscrivent dans la continuité des politiques menées dans chacune des 3 ex-régions. Nous nous félicitons là aussi du travail engagé par les services, notamment pour arriver rapidement à une harmonisation des bourses versées sur critères sociaux, pour garantir une égalité de traitement entre tous les étudiants de ces filières.
L’apprentissage, avec un effort très important, de l’ordre de 231 M€ pour 35 000 apprentis, demande lui aussi une surveillance particulière. Surveillance, car la plupart des contrats d’apprentissage sont concentrés sur le niveau 5 et concernent donc d’abord des mineurs.
Nous devons répondre à la problématique des trop nombreuses ruptures de contrat d’apprentissage. Ne l’oublions pas, dans les faits, la rupture de ce contrat de travail particulier entraîne de facto la rupture du contrat de formation des jeunes qui en sont victimes.
Des efforts importants ont été faits par notre collectivité, qui accompagnent ainsi un grand nombre de nos concitoyens dans leur volonté de formation, mais il nous reste à réussir maintenant une montée en qualité des formations afin d’être toujours plus efficaces et être au rendez-vous des attentes des usagers, et rejoindre ainsi le niveau d’excellence de la formation professionnelle dispensée dans les lycées professionnels publics.
Aides à la scolarité
Concernant les aides à la scolarité, si nécessaires dans la situation économique et sociale de nombreuses familles, nous nous réjouissons de la création pour l’ensemble des jeunes issus de la voie professionnelle, lycéens ou apprentis, d’une aide au permis de conduire d’un montant de 600 €. Rappelons que le taux d’insertion professionnelle, notamment dans les zones rurales, connait un différentiel de 20 points suivant que l’on soit titulaire ou pas du permis de conduire.
Nous nous félicitons aussi de cette volonté de réduire les déséquilibres qui existaient dans nos trois anciennes régions en matière d’aide aux livres scolaires, par une harmonisation des sommes tout en préservant les dispositifs existants pour le reversement de ces aides : aides directes, mise à disposition d’ouvrages ou Chèque-Livre. De plus, la variabilité des aides en fonction de critères sociaux va aussi dans le sens d’une plus grande équité et justice sociale.
Par contre, nous comprenons que les familles puissent légitimement ressentir ce dispositif en recul par rapport à ce qui existait auparavant, avec des aides moins importantes par rapport à ce qui existait en ex-Aquitaine, des suppressions de l’aide en 1ère et Terminale en ex Poitou-Charentes, la disparition des chèques sport et culture en Poitou-Charentes ou des aides réduites pour le Coup de Pouce Formation Professionnelle.
De plus, la suppression actuelle du « Coup de Pouce Mobilité pour formation rare » sera aussi prise par les familles et les fédérations de parents d’élèves comme un désengagement du Conseil régional. Nous souhaitons que ce dernier dispositif soit réexaminé car il est important pour le maintien de certaines formations et pour l’équité de leur accès.
Agriculture
Dans le budget consacré à l’agriculture, nous voulons appeler votre attention sur deux points très importants :
- L’agriculture connaît une crise structurelle depuis plusieurs années et les aides à l’agriculture industrielle liée à l’agrochimie sont un puits sans fond qui ne résoudront jamais cette crise.
- On sait aussi qu’il y a aussi de fortes disparités de revenus entre le secteur de l’élevage d’un côté et de l’autre les vignoble et les céréaliers.
Les citoyennes et les citoyens, dans leur consommation, aspirent à une alimentation de qualité, locale et surtout qui ne nuise pas à leur santé. Toutes les études le démontrent.
Nous voulons à ce propos vous remercier, monsieur le Président pour vos récentes déclarations publiques concernant la sortie des pesticides. Elles montrent que vous intégrez ces enjeux.
Pour aller dans ce sens, nous vous proposons de convoquer une Conférence de tous les exécutifs de la grande Région pour mettre en marche une action coordonnée des collectivités sur cette question de santé publique qui concerne les agriculteurs au premier chef, mais aussi les riverains et les consommateurs.
Oui, il y a une prise de conscience générale et c’est très bien mais elle a pour corollaire un mouvement de fond du monde agricole vers l’agriculture biologique.
Les demandes de conversion ont explosé en 2015 et cela se poursuit en 2016. Il faut que la Région accompagne très fortement cette transition pour garantir sa durabilité et maintenir nos paysans, qui représentent un secteur important dans la grande Région, dont beaucoup veulent faire évoluer leurs pratiques.
Le budget pour l’agriculture bio doit donc tenir compte de ce mouvement de fond dont la réussite est souhaitable au plan économique, social, sanitaire et environnemental. Or il manquera, d’ici 2020, entre 8 et 11 M€ pour couvrir les besoins de la conversion et du maintien en agriculture biologique. Cette situation est largement due à l’insuffisance des financements européens et de l’État. Mais il faut envisager très sérieusement d’y pallier si nous voulons vraiment un essor de l’agriculture bio.
Deuxième point, nous voterons contre la ligne budgétaire concernant les subventions aux réserves d’eau pour l’irrigation. L’irrigation est parfois nécessaire, nous n’y sommes pas forcément opposés. Mais nous manquons là d’éléments pour juger si certaines conditions sont posées pour le financement de ces ouvrages très coûteux pour les contribuables.
Ces conditions doivent être, ce n’est pas exhaustif : donner la priorité à l’agriculture bio, privilégier la diversité de production et non la monoculture irriguée, une vigilance totale sur l’eau potable et une gestion publique des ouvrages collectifs de stockage de l’eau. Nous sommes bien sûr prêts à travailler sur le sujet.
Transports
Dans le chapitre sur les transports, nous nous opposons aux lignes budgétaires concernant les LGV, en cohérence avec nos convictions, même si ces lignes sont le résultat d’engagements précédents l’élection de décembre 2015.
Et bien sûr, les écologistes resteront fermes sur les engagements pris lors de la campagne électorale : ne plus engager de nouveaux financements régionaux sur les LGV, qui ne relèvent pas de la compétence régionale. La Région a suffisamment à faire pour améliorer les trains du quotidien et pour construire un schéma d’intermodalité à l’échelle de notre grand territoire.
Nous voterons également contre financement des routes. Cela fait longtemps, monsieur le Président, que vous aviez décidé, avec raison, de ne plus engager la Région sur le financement des routes, qui ne sont pas de sa compétence.
Pourquoi changer de cap ? Les chantiers routiers sont extrêmement coûteux, destructeurs de la biodiversité et la France est déjà l’un des pays du monde les plus dotés en infrastructures routières ! L’amélioration du réseau TER pourrait profiter avantageusement des 18 M€ inscrits pour les routes.
Ainsi un exemple parmi tant d’autres : la réouverture de la gare de la Médoquine à Talence est une étape essentielle pour redynamiser le chemin de fer de ceinture de l’agglomération bordelaise car c’est dans cette gare que passent le plus de TER en Gironde et cela permettrait de contribuer à réduire la congestion automobile de Bordeaux.
Nous nous opposons aux subventions concernant les aéroports et les lignes aériennes mais nous saluons l’étude stratégique aéroportuaire commandée pour la mise en cohérence des aéroports entre eux et vis-à-vis des autres modes de transports afin d’arrêter une stratégie aéroportuaire. Nous demandons d’être pleinement associés à la rédaction du cahier des charges de cette étude.
Nous estimons à ce jour que beaucoup d’aéroports ont un trafic trop peu élevé. Les prises de participations dans les structures aéroportuaires sont périlleuses car il est ensuite très difficile d’en sortir.
La Région doit se préserver des volontés départementales voire locales de développer des structures aéroportuaires à tout prix et qui ensuite veulent taper dans le porte-monnaie régional. Il faut également refuser de subventionner, même de façon indirecte, le low cost, symbole de la gabegie économique et écologique de ce mode de transport qui contribue fortement aux émissions de gaz à effet de serre.
En conclusion, monsieur le Président, chers collègues, le groupe écologiste et citoyen votera globalement ce budget primitif 2016, de par son caractère exceptionnel et dans l’objectif d’avancer au sein de la majorité sur des politiques essentielles pour nous, écologistes. Cependant, nous demandons que certaines lignes qui ne vont pas dans le sens de la transition écologique soient sorties du budget et votées séparément. Sur celles-ci, pour les raisons que nous avons expliquées, notre groupe votera contre.
Enfin, nous vous demandons la création d’un groupe de travail sur la transparence financière. Dès la découverte des difficultés financières de Poitou-Charentes, vous aviez ici-même émis le souhait d’un meilleur contrôle des finances par les élu-e-s et d’une plus grande transparence. Cela passe par un véritable code de bonne conduite qui doit être lisible, praticable et utilisable par les services dans l’instruction des dossiers de subventions, dans les achats de la Région et dans le choix des établissements bancaires. Nous nous tenons bien sûr à votre disposition pour concrétiser notre proposition pour la transparence et l’éthique financière de la Région.
Je vous remercie.
[Seul le prononcé fait foi]