Intervention liminaire Léonore Moncond’huy

Intervention de Léonore Moncond’huy en séance plénière du 12 avril 2019

Monsieur le président, cher.e.s collègues ,

Nous entamons aujourd’hui une plénière sous le signe des territoires, c’est un choix qui constitue une belle reconnaissance pour le travail d’une élue de terrain, connue et reconnue de ses concitoyens, qui suit ses dossiers, que ses lycées connaissent bien, qui représente un territoire rural.

Mais ce choix est aussi un signal fort.

Le signal fort espéré d’un changement de regard de notre institution sur les territoires, et sur les élus qui font vivre la Nouvelle-Aquitaine à l’échelle de la vie quotidienne de ses habitants, les élus qui donnent un visage humain à notre Région parfois perçue comme lointaine et désincarnée. Nous espérons que le plaidoyer que Reine-Marie Waszak porte depuis 3 ans en faveur des élus de territoire saura par sa nomination trouver un écho renouvelé en notre institution. Nous sommes en effet convaincu.e.s que notre grande Région a tout intérêt à s’appuyer sur ses élu.e.s pour assurer non seulement une présence, mais une démocratie renouvelée, au plus proche des territoires et de leurs besoins. C’est avant tout une question d’équité territoriale : pour nos concitoyens, comme pour notre fonctionnement à nous, élus, accepter de décentraliser nos lieux de décision est la condition de l’acceptabilité et de la soutenabilité de notre Région, à moyen terme.

Nous votons aujourd’hui plusieurs délibérations en faveur de la ruralité. Territoire, ruralité, c’est un prisme prioritaire, que nous ne pouvons que saluer.

Mais ce prisme ne doit pas être celui d’une politique en silo : on ne saurait résumer la prise en compte des problématiques spécifiques de 80% de la population néo-aquitaine à une politique sectorielle. La ruralité devrait être au cœur de la politique territoriale de toute collectivité.

Prêter attention aux territoires, c’est changer le regard que nous portons sur eux.

Aujourd’hui, pour apprécier la pertinence géographique de nos interventions régionales, nous nous fondons sur des « critères de fragilité ».

Et c’est vrai qu’ils se sentent fragiles ! Et j’ai envie de citer Gauvain Sers, artiste montant de la scène creusoise, qui chante si bien le sentiment des campagnes de perdre la maîtrise de leur sort, à travers le destin d’un instit’ au pull vert qui voit son école fermée par les « ils » de Paris :

« À vouloir regrouper les cantons d’à côté en 30 élèves par salle

Cette même philosophie qui transforme le pays en un centre commercial

Ça leur a pas suffit qu’on ait plus d’épicerie. Que les médecins se fassent la malle

Y’a plus personne en ville, y’a que les banques qui brillent dans la rue principale

On est les oubliés / La campagne, les paumés / Les trop loin de Paris / Le cadet de leur soucis

Mais résumer un territoire à sa fragilité revient à mettre les lunettes de celui qui s’en considère comme le « centre », fort, et le risque de réduire le territoire dit « fragile » à sa supposée « fragilité » est grand.

Or, là encore, tout est une question des lunettes ! Aujourd’hui, le territoire le plus fragile de la Région, c’est Bordeaux. Eh oui ! La ville gagne des habitants, le prix de l’immobilier explose, il y a une gentrification galopante… Comment réguler le marché du foncier, les problèmes de congestion de la circulation, à Bordeaux ?

Ça change le regard, non ?

Mettre au cœur de nos politiques la question de la ruralité et des territoires implique de changer nos lunettes. D’accepter qu’une recette qui fonctionne ici ne fonctionnera pas nécessairement là-bas, que si par exemple la priorité que nous partageons est la création et le maintien d’emploi sur les territoires, la réponse ne sera pas la même à Bordeaux, où l’on crée une startup ou un emploi industriel comme on mange un cannelé ; ou à Guéret, où c’est le secteur associatif qui est le plus pourvoyeur d’emplois, y compris pour un jeune souhaitant créer une activité, un monde associatif qu’il faut donc soutenir à ce titre.

Pour une collectivité comme la nôtre, mettre de l’ingénierie au service du développement de tous les territoires de la Région est pour nous l’attitude politique la plus juste. Mais ici aussi, l’ingénierie, qui est l’alliance de l’expertise et de l’inventivité au service d’un territoire vécu, n’a pas qu’un seul visage : un tiers-lieu, un expert de l’accompagnement de l’ESS, un emploi associatif… peuvent tous contribuer au développement d’un territoire. Changer de regard, c’est reconnaître que le développement des territoires ne sera pas exogène, octroyé par la grande ville ou des retombées de liaisons aériennes, mais qu’il sera endogène, et qu’on le soutiendra par des mesures répondant aux réalités de chaque territoire. Grâce à l’expertise des élus qui en sont les experts du quotidien… On y revient !

Les délibérations que nous votons sont un premier pas dans cette direction ; mais nous appelons d’abord à ce que les financements consacrés soient à la hauteur de l’enjeu pour nos territoires, et surtout qu’elles impulsent une prise en compte généralisée de ce regard plus équitable.

C’est un enjeu d’équité territoriale, un enjeu économique, un enjeu social, mais c’est aussi un enjeu écologique. Là encore, le territoire le plus fragile de notre Région, c’est Bordeaux. A l’heure où c’est la résilience de nos territoires que nous devons construire, face aux conséquences lourdes du changement climatique que nous subirons très bientôt, Bordeaux, avec ses terres agricoles qui s’éloignent, son autonomie alimentaire qui se réduit d’autant, ses besoins croissants en énergie… sera loin d’être le territoire le plus résilient.

C’est à l’échelle des territoires que nous construirons la résilience de notre Région, une raison de plus de saluer la priorité qui leur est donnée aujourd’hui.

Je vous remercie.

[Seul le prononcé fait foi]