Propos introductifs de Léonore Moncond’huy
Intervention de Léonore Moncond’huy en séance plénière du 17 décembre 2018
Monsieur le Président, cher·e·s collègues,
Tout d’abord, merci ! Lors de la dernière séance plénière, nous avons pris acte de notre volonté commune d’agir, ensemble, à la hauteur de l’impératif climatique… Et l’actualité nous donne malheureusement chaque jour plus raison.
Nous constatons, désabusés, l’éclatante incohérence d’un gouvernement du champion de la terre, mais dont aucun Ministre n’était présent lors des négociations finales d’une COP24 si décevante, alors que le Secrétaire Général de l’ONU s’égosille à rappeler que l’inaction serait « immorale et suicidaire ».
Nous assistons aux conséquences de l’imposture d’un gouvernement qui taxe le diesel au nom du climat, dont il se sert comme d’un prétexte pour imposer une fiscalité inégalitaire, créant de ce fait une transition écologique dramatiquement incomprise. Les gilets jaunes, qui dans certaines villes comme Poitiers ont convergé avec les Marches pour le climat, ne luttent pas contre l’écologie ; mais contre l’injustice fiscale, et l’injustice de l’aménagement du territoire qui rend certains -déjà !- plus vulnérables que d’autres aux coûts du changement climatique. Ils démontrent que la transition écologique ne peut se faire qu’au prisme de la justice, de la solidarité y-compris entre territoires, et d’une préoccupation démocratique sincère.
Nous avons d’emblée salué votre initiative d’une plénière dédiée à la transition écologique, et nous avons eu l’occasion de vous dire notre volonté de construire, ensemble, ce rendez-vous important. Face aux impératifs climatiques, il ne peut y avoir de perspective salutaire que dans la coopération et le rassemblement des énergies.
Pour autant, plus que jamais nous y défendrons une transition écologique exigeante et profondément cohérente. Nous serons fiables et prévisibles, mais nous annonçons la couleur : la situation de l’humanité ne permet pas la demi-mesure, ou les incohérences. En tout cas, nous ne souhaiterons plus y engager notre responsabilité si nos engagements n’étaient pas à la hauteur.
Notre Région Nouvelle-Aquitaine se veut, notamment par la voix de son Président, la première Région de France engagée pour la transition écologique et la sortie des pesticides -ce dont nous pouvons être fiers. Mais quelle demi-mesure son budget représente t-il ! Il est l’illustration même de la difficulté à donner un reflet financier à ces priorités : quand allons-nous financer la sortie des pesticides ? Quand notre budget va-t-il donner à voir la réduction des émissions carbone que nos financements permettent d’engager ?
Une politique régionale de l’eau à la hauteur des enjeux du dérèglement climatique ?
L’incohérence, aujourd’hui encore, de la réponse que notre assemblée pourrait apporter à la question : quelle politique de gestion de l’eau peut être efficace pour se préparer à affronter au mieux les dérèglements climatiques ? Car c’est bien là la question que nous devons nous poser.
Le protocole auquel je fais référence, sur les retenues en Deux-Sèvres, est symbolique : il parle d’agriculture… mais ce n’est pas le problème. La position mitigée des représentants des professionnels, le désarroi croissant de nombreux autres, montre que ces projets ne font pas consensus même au sein de la profession agricole. Nous ne sommes pas contre la transition de l’agriculture.
Mais ici, nous parlons d’eau, source de vie, sur tout son cheminement. Notre remise en question de ces projets est tout sauf dogmatique, elle est fondamentalement politique : dans ce qui est peut-être la première bataille de l’eau climatique sur notre territoire, comment prioriser les usages de l’eau ?
Nous avons besoin d’eau pour boire, pour faire fonctionner notre économie, pour maintenir le bon état écologique des milieux naturels, pour refroidir nos centrales nucléaires – Est-ce que vous vous rendez-compte que nous avons mis à sec le lac de Vassisivière cet été, pour refroidir une centrale nucléaire ? A 10 jours près, il n’y avait plus aucune réserve pour alimenter la Vienne, et donc refroidir Civaux. Nous en sommes là !
Et bien sûr, nous avons besoin d’eau pour nous nourrir, et répondre aux besoins de l’agriculture – mais pour quelle agriculture ? Celle qui fait vraiment vivre les territoires, celle qui alimente les circuits courts dont nous avons tant besoin pour nos lycées, celle qui emploie ? Ou celle majoritairement dédiée à l’export et intrinsèquement adossée à l’usage des pesticides ?
Ce n’est pas moi qui apporte la réponse, ce sont les scientifiques d’AcclimaTerra. « Cette politique de l’eau dite d’offre atteint ses limites depuis une vingtaine d’années « , prenant appui sur l’expérience du bassin Adour-Garonne, ou encore « Avant d’envisager la planification d’éventuels ouvrages de stockages contestés socialement et écologiquement, il convient de mieux valoriser le potentiel des têtes de bassin et des zones humides, de favoriser l’infiltration, de ralentir le ruissellement pour rétablir une bonne alimentation naturelle, de préciser collectivement la notion et les critères des débits écologiques acceptables ».
Face à la raréfaction de la ressource en eau, nous exigerons sans cesse que soient pris en compte les corollaires de la transition écologique que je mentionnais tout à l’heure : justice, solidarité entre les usages et les territoires, et association démocratique des citoyens.
Or le projet de retenues dont il est question est injuste : il ne profite qu’à 200 exploitations, sur les plus de 7000 que comptent les Deux-Sèvres. Croire en le fait que ça rejaillira sur le territoire reviendrait à l’absurdité de la théorie du ruissellement appliquée à l’agriculture.
Ce projet n’est pas solidaire : allouer 60 millions d’euros dont 70% de fonds publics, dont 15 millions par la Région, pour entretenir un modèle agricole dépassé, dont plus personne ne peut honnêtement dire que c’est un modèle d’avenir. C’est autant d’argent qu’on n’alloue pas ailleurs ! A partir de 2020, il n’y aura plus aucune aide au maintien en agriculture biologique, et aucune reconnaissance financière des services environnementaux rendus par l’agriculture biologique pour compenser. Rien ne vient financer la sortie des pesticides de notre Région. Nous voulons tous de la bio, pour nous, pour nos cantines ; nous voulons tous vivre dans un environnement sain. Mais les acteurs de la transition ne vivent pas que d’amour et de déclarations politiques, c’est là que doivent allers les financements publics, exclusivement.
Ce projet n’est pas démocratique, mon collègue Nicolas Gamache témoignera du désarroi des acteurs locaux.
Enfin, c’est un projet dont les engagements en faveur de la transition écologique de l’agriculture ne sont que déclaratoires, sans aucun moyen de contrôle. Aviez-vous repéré que ce protocole ne comprenait aucune mesure pour protéger les aires d’alimentation en eau potable et à proximité des riverains ? Les pesticides y seront toujours autorisés.
Nous ne souhaitons plus être complices de la mise à disposition de financements publics qui n’engageraient pas une transition écologique responsable vis-à-vis des acteurs de notre Région, autrement dit une politique ambitieuse, courageuse, et à la mesure de l’urgence climatique.
C’est notre responsabilité vis-à-vis de l’intérêt général qui est en question. L’intérêt général n’est pas l’agglomération des intérêts de quelques particuliers, aussi influents soient-ils. L’intérêt général va dans le sens de la solidarité qui doit être plus forte entre les différents usages de l’eau, entre les territoires.
C’est pourquoi, au nom de l’intérêt général, il est probable que les citoyens ne resteront pas inactifs, si le projet devait faire l’objet d’une instruction favorable par les services. Le projet risquerait de faire l’objet d’une annulation par le tribunal administratif, du fait d’une incompatibilité patente avec plusieurs dispositions de notre règlement d’intervention.
Pourtant, il est possible de travailler autrement, en commun, et je réaffirme notre souhait de travailler en bonne intelligence sur la mise en marche de notre Région face aux bouleversements climatiques et à l’effondrement de la biodiversité. Mais nous y porterons toujours l’exigence de cohérence et de courage qui fait la valeur des écologistes, conscients des responsabilités qui sont les nôtres.
Je vous remercie.
[Seul le prononcé fait foi]